Le pays était en effet très habité. Au-delà de la curieuse structure luminescente, existait une vaste cité miniature. Le peuple qui l'avait bâtie au grand jour, en bordure de la forêt, nous est très familier : des Oyatsines, la tribu qui avait donné naissance, dans notre monde, au royaume d'Orchide. On retrouvait dans ce contexte étrange tous les indices du raffinement et de la liberté des moeurs de cette mini-civilisation.

 

-     Commandant Salicorne : Salut à vous, Seigneur Ramentonphis !

-     Le ministre Ramentonphis : Aaah !! Commandant ! Venez me rejoindre ! Quel plaisir de vous revoir !

 

-     Ramentonphis : Connaissez-vous ma douce et merveilleuse servante, que dis-je mon amie, Sessellakimeth ?

-     Salicorne : Vous me la présentez à chaque fois, Seigneur Ministre, donc, oui, je la connais. Bonjour, Sesselllakimeth.

-     Sessellakimeth : Bonjour, Commandant. Vous vous faites si rare parmi nous. Vous êtes trop accaparé par vos recherches. Vous cherchez encore et toujours et vous ne trouvez jamais.

-     Salicorne : Je ne suis pas loin de penser que c'est une bonne nouvelle de ne rien trouver. Cela rend les choses si calmes ! Et c'est vrai, hélas, cela me prive du plaisir sans cesse renouvelé de ces visites. Celle-ci est justement pour vous annoncer, Seigneur, que nous sommes distraits dans nos recherches par quelque chose de nouveau et intéressant...

 

-     Ramentonphis : Ah bon ?! Quelles sont les nouvelles ?

-     Salicorne : Depuis hier matin, nous observons l'approche d'un groupe d'une vingtaine de personnes qui sont arrivées par la Porte.

 

-     Ramentonphis : Quoi ?... Vraiment ?!... Oooh... Voilà qui ne s'était pas produit depuis quatre ans. Depuis vous, en fait. Est-ce que cela remet en question votre diagnostic sur la Porte ?

-     Salicorne : Pas nécessairement. Nous avons interrogé notre base de données. Nous pensons avoir identifié ces gens et savoir d'où ils viennent. Même s'ils sont arrivés après nous, il est certain qu'ils sont partis très longtemps avant... Je venais vous inviter sur notre base pour étudier cet événement et accueillir les visiteurs.

 

-     Ramentonphis : "Partis très longtemps avant"... Aaaah, enfin du mystère... Y avait longtemps... Sessellakimeth, habille-moi ! Prenez patience s'il vous plaît, mon ami, je vous rejoins au péristyle.

 

-     Ramentonphis : Le roi est prévenu ?

 

-     Salicorne : J'ai essayé. J'ai rencontré un officier des Gardes qui m'a seulement dit que le roi séjournait dans son palais d'hiver, puis il s'en est allé très vite faire autre chose. Je n'ai pas su quoi répondre. Le palais d'hiver ?...

-     Ramentonphis : Oui... Durant les explorations que notre bien-aimé Seigneur Poo Gri Mô a entreprises pour tromper son ennui, il s'est entiché d'un endroit, très joli paraît-il. Une colline avec des marronniers, où il a fait aménager une vaste taupinière en demeure souterraine pour une centaine de personnes. Il aime à s'y retirer avec de proches courtisans, de proches serviteurs et de proches gardes. Mais loin.

 

-     Ramentonphis : Désolé, Commandant, je n'étais pas au courant pour cette fois. Qu'est-ce qu'il est allé foutre là-bas, le Bien-aimé ?... C'est à une demi-journée de marche au sud-est, vous appelez cette colline le Point G... G 8, je crois ?...

-     Salicorne : Je vois où c'est. Nos véhicules ne peuvent pas l'atteindre sur ce terrain, nous lui enverrons un hélicoptère. Et une patrouille est partie établir le contact avec les visiteurs. Ils vont avoir de grandes surprises...

 

-     Ramentonphis : Commandant, je vous retrouverai un peu plus tard à la base Danaé, le temps de donner quelques consignes...

-     Salicorne : On m'a parlé, à mots couverts, de certaines tensions politiques au Sénat en ce moment, entre plusieurs clans. J'espère que ce n'est pas trop grave.

-     Ramentonphis : Rien d'autre que des incompréhensions mineures, faciles à dénouer par la discussion et le bon déroulement de la démocratie. A tout à l'heure.

 

-     Ramentonphis : Général Lavtatass, tu vas déployer la Légion de la Garde au palais et dans les temples... Surveille ce qui se passe autour. Au cas où...

-     Lavtatass : Oui, Seigneur.

 

 

 

L'expédition avançait avec précaution, en essayant de ne pas se faire remarquer. Ce qui est évidemment plus facile pour des personnes de moins de 3 centimètres qui marchent au ras du sol dans une nature vierge. Mais, comme on le sait, on les observait déjà. 

 

-    Igor Kadawreski : Bon... Je vous avouerais bien que je ne sais pas du tout où nous sommes, ni dans quelle direction se trouve cette cité. Mais je ne le ferai pas.

-     Derdrie : Nous avons été trop subtils et trop précautionneux.

 

-     Kadawreski : Voilà autre chose...

-     S.A.R.A. N° 4 : Bonjour. Je suis la sonde automatique de reconnaissance et analyse numéro 4. Merci de bien vouloir déposer vos armes et attendre l'arrivée de l'escouade de sécurité. 

 

-     Kadawreski : Qu'est-ce que c'est que ce bazar ?... Mademoiselle Grostoke, une idée ?

-     Le capitaine : On pourrait le faire basculer sur le côté...

-     Derdrie : Il n'a pas l'air bien méchant. Et puis nous cherchions un premier contact, pourquoi pas celui-là ?

-     S.A.R.A. N° 4 : Je vous vois et j'entends tout ce que vous dites. Soyez rassurés. Vous n'êtes pas en danger. Vous allez être conduits sur la base Danaé.

 

-     S.A.R.A. N° 4 : Analyse en cours... Sujet : Igor Kadawreski. Confirmez-vous cette information ?

-     Kadawreski : Euh, oui, je confirme. Mais comment...

-     S.A.R.A. N° 4 : En tant que chef de cette expédition, vous êtes prié de former une délégation qui va être présentée au commandant de la base dunaire Danaé. Merci de votre coopération et de l'attention que vous m'avez accordée.

 

-     Kadawreski : Des mini-gens... Ils m'ont l'air bien évolués... Qui êtes-vous ? C'est quoi la base dunaire Danaé ?

-     L'officier : C'est le vaisseau qui nous a amenés ici. N'ayez pas d'inquiétudes. Vous êtes en sécurité. Veuillez nous suivre, et vous aurez toutes les réponses.

 

 

-     Salicorne : Vous êtes ici avec des amis ! Bienvenue sur la base dunaire Danaé. Un peu plus loin, à l'orée de la forêt, vous découvrirez la cité des Oyatsines, le peuple venu lui aussi s'installer après avoir traversé la Porte invisible, mais ça, vous le saviez déjà, j'imagine. Vous êtes bien Mademoiselle Derdrie Grostoke, de la mini-université de la Fédération à Amiens ?

 

-     Derdrie : Oui... Vous me connaissez ?

-     Salicorne : Vous êtes tous dans nos archives...

 

-     Gépludo : Vos archives ?... Est-ce que... vous venez du futur ?

-     Salicorne : Plus exactement, nous sommes votre futur. Ici, dire que l'on vient du passé ou de l'avenir n'a pas de réel sens. Pour être précis, nous sommes citoyens de la République d'Arrochelle, qui existera près de Berck à partir de 2011, et nous avons traversé la Porte en 2032. C'est d'ailleurs votre, euh, disparition en 1938 qui a motivé cette mission d'exploration.

-     Kadawreski : Nous avons donc disparu ?...

-     Salicorne : Clairement oui. Et nous aussi.

 

-     Salicorne : Il y aura beaucoup de choses à expliquer, j'en suis conscient. Je souhaite, avant de passer à cette discussion, vous voir reposés, détendus, familiarisés avec votre nouvel environnement. Nous vous y aiderons. Voici le docteur Irna Gedlantalgic. Elle dirige l'unité de recherche archéologique de la base. Elle s'est proposée pour s'occuper de votre accueil, de votre confort, et de répondre à vos interrogations pressantes et légitimes.

 

 

-     Irna : C'est votre tour, Mademoiselle Grostoke ! Voici votre cabine. Enfin, si vous décidez de vous joindre à nous, ce qui n'est pas une obligation. Vous et vos compagnons pouvez aussi choisir de refaire votre vie dans le pays des Oyatsines. Ils sont très accueillants. Leurs ancêtres se sont aventurés ici par petits groupes, puis par familles entières, et ils n'ont vu personne d'autre à part nous très récemment. Ils seront très curieux de faire votre connaissance. En attendant, je vous ai réservé l'une des plus belles cabines. Vous risquez aussi d'y travailler.

 

-     Derdrie : Merci pour cette faveur. Pensez aussi à m'expliquer le fonctionnement de tous ces beaux appareils qui ne sont pas de mon temps...

 

-     Irna : Je suis là pour ça ! A vrai dire, j'ai l'impression de vous connaître depuis longtemps... C'est moi qui ai découvert dans ce qui restait des archives d'Amiens et de Merlimont la trace de vos expéditions dans les dunes à la recherche d'éléments concrets autour des légendes oyatsines. Particulièrement grâce aux notes du professeur Ylparoski, qui a survécu à... qui a survécu.

-     Derdrie : Qui a survécu à quoi ?... A quoi a-t-il survécu ?

 

-     Irna : Ce sont des nouvelles très dures, je préfère attendre un peu...

-     Derdrie : Le monde a tourné sans nous pendant près d'un siècle et j'imagine que nous avons raté une multitude de choses très dures. Mais je veux savoir ce qui est arrivé à Ylparoski.

 

-     Irna : A lui, rien, justement, il a eu de la chance. Un an après que vous ayez quitté votre espace-temps, une grande guerre a éclaté entre les nations des Grands. La France a été envahie et occupée, ce qui a rendu encore plus difficile la mission des Grands Protecteurs. Mais le monde miniature n'a finalement pas été découvert. Cependant, en mars 1944, Amiens a subi une attaque aérienne, la ville a été bombardée dans le secteur de la gare de triage. Parmi les maisons détruites, il y a eu celle du docteur Darmonville, qui était connu pour sa fabuleuse collection d'objets préhistoriques, antiques et mérovingiens récupérés dans les fouilles qu'il a faites comme archéologue amateur et passionné, dans tout le nord de la France...

 

-     Derdrie : ...En revanche, il n'était pas connu pour être aussi membre de la confrérie des Grands Protecteurs... Sa maison et les dépendances abritaient la principale colonie après celle de Montville, la colonie qui fédérait les Quinze Nations. Vous me dites qu'elle a été détruite ? Le gouvernement fédéral ? L'université ?...

-     Irna : Je suis désolée... Oui, tout a disparu. Près de 30 000 morts, 20 % de la population d'alors, c'est de très loin la plus épouvantable catastrophe qu'ait connu le mini-monde. Pendant des années, il a failli partir dans un grave déclin. Le directeur de l'aéroport a pris les choses en main et a évacué une bonne partie des 800 survivants avec les 3 dirigeables dont il disposait sur la colonie la plus proche, Merlimont. Votre collègue a eu beaucoup de chance...

 

 

-     Derdrie : Le directeur de l'aéroport ?

-     Irna : Il s'est trouvé être la seule autorité civile encore en activité, encore en vie, disons-le. La serre qui se trouvait au fond du jardin n'ayant pas été touchée, c'est là que les secours ont été organisés aussitôt par lui, puis par les Grands venus en renfort. 

 

-     Derdrie : Quelle horreur... En 1944 ? Et avant ? Qu'est devenu le reste de notre équipe ? Il y avait 25 hommes.

-     Irna : Ils sont restés au camp de base pendant 3 semaines, à espérer votre retour. Un gros orage a noyé le camp, détruit le matériel, les armes, la radio, tué plusieurs d'entre eux. Ils ont voté pour tenter le voyage de retour vers Merlimont, mais ça s'est très mal passé. A la demande du professeur Ylparoski, qui dirigeait l'équipe de réserve, le fils du docteur Cazin a parcouru les dunes pour vous retrouver. Il a récupéré seulement 7 porteurs et soldats survivants, que votre collègue a interrogés. Pendant des années, pendant et après la guerre des Grands, il a tenté d'organiser des missions de recherche, en vain. C'est de lui que nous tenons tout ce que nous savons sur vous.  Il est finalement revenu à Montville, puis il a pris sa retraite dans la colonie de l'île de Groix. 

 

-     Derdrie : Merci, Irna, de m'avoir dit tout cela. Nous avons encore beaucoup de choses à apprendre...

-     Irna : Nous pensions que vous étiez déjà là depuis longtemps, ce qui est logique, que vous aviez continué loin d'ici ou qu'il vous était arrivé malheur... Mais vous n'arrivez que maintenant. Je me rends compte qu'avec la Porte, la logique est vaine aussi. Je vous montrerai tout ce que Ylparoski nous a laissé, si ça vous intéresse. Et vous aurez tous un cours d'histoire sur le siècle écoulé. Reposez-vous, en attendant.

 

Le soir venu, au palais royal.

 

-     Salicorne : Je veux vous présenter son Altesse Yskassassêzeur, le fils du roi Poo Gri Mô.

 

-     Yskassassêzeur : Ah ! Vous êtes là. J'allais partir. Voici donc les nouveaux étrangers. Soyez les bienvenus dans le Nouveau Monde auquel on n'a pas encore trouvé de nom.

 

-     Yskassassêzeur : Je dois vous laisser, mon père m'attend. Bonne chance pour votre installation, que le Destin vous soit propice.

 

Derdrie était resté songeuse jusque vers 1 heure du matin. Immobile, les yeux écarquillés dans le noir, elle fixait des images du passé, des images d'Amiens et des personnes qu'elle avait connues dans la colonie fédérale. Combien y avaient laissé la vie, 6 ans après sa propre disparition qui avait inquiété tout le monde ?...

Le confort de sa cabine, qui était bienvenu après les nombreuses nuits passées à la belle étoile dans le sable, eut raison de son film intérieur dont les images se brouillèrent et elle bascula dans un bon sommeil. A sa grande surprise, elle se réveilla 6 heures plus tard parfaitement apaisée et en pleine forme.

 

A 9 heures, elle visitait les corridors du vaisseau, émerveillée par la technologie omniprésente et mystérieuse. La base dunaire lui semblait totalement ouverte, les gens étaient gentils, accueillants, ils répondaient avec patience à ses questions. Elle retrouva Irna Gedlantalgic au "café", qui ressemblait à un vrai troquet de centre-ville. Tout était fait pour que l'équipage, condamné à exercer ses fonctions à vie et sans salaire, se sente bien. Irna voulut montrer à sa nouvelle amie les hangars qui abritaient les engins volants et la convier sur un chantier de fouilles archéologiques. 

 

 

-     Derdrie : C'est fantastique...

-     Irna : Nous avons 5 engins volants comme ceux-ci, les "Geckos", et 6 hélicoptères. Mais le matériel commence à s'épuiser. Nous les faisons durer comme nous pouvons. Nous sommes par la force des choses en totale autarcie. Allons-y. Nous étudions, près de la forêt, un site qui pourrait avoir été une Porte semblable à celle que vous avez franchie et où des traces d'occupation d'une ancienne communauté miniature ont été trouvées. Peut-être des pré-Oyatsines qui occupaient déjà les environs de Berck bien avant les tribus que nous connaissons. Voilà qui intéresse l'histoire des deux mondes et le peu de connaissances que nous en avons...

 

 

-     Le pilote : Gecko 3 au contrôle Missions Extérieures. Nous sommes prêts au décollage.

 

-     Irna : Le voyage va être très court, à peine 10 minutes, mais nous avons besoin de cet appareil pour relever une partie de l'équipe qui est sur le site et apporter des vivres.

-     Derdrie : Je suis très impressionnée... Ce seront mes 10 minutes les plus passionnantes de la matinée. 

-     Irna : Attendez la suite...    

 

A SUIVRE...

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