La colonne conduite par le major Cailleuse poursuivait sa marche dans le sable. Ces gens étaient de minuscules organismes vivants jetés dans l'immensité sauvage et majestueuse des environs de Berck-sur-Mer. Ils piétinaient dans le sable fin et déjà presque brûlant, attentifs aux moindres signes de danger.

 

Ces naufragés du désert n'avaient eu aucune nouvelle du reste de l'armée, qui devait, selon le plan prévu, avoir quitté Authiebourg bien avant la fin de la nuit. Cela pouvait laisser présager le pire... Le groupe était donc isolé et exposé à tous les risques imaginables.

 

-      Madame Gypse : Vous sentez cette vibration ?

-      Monsieur Silice : Oui... On dirait le pas d'un Grand... Major !

-      Cailleuse : Restez calmes. Ecoutez.

-      Monsieur Silice : On dirait que ça vient de notre côté !

 

-      Le soldat : C'est un Grand qui vient droit sur nous ! A l'abri !

 

 -      Cailleuse : A couvert !

-      Madame Gypse : Je le vois ! Il est énorme !

 

-      Madame Gypse : HAAAAAAAAA !!!

 

-      Cailleuse : Il est parti... Il ne nous a pas vus. Rassemblons tout le monde, cherchez les personnes qui peuvent être enfouies dans le sable.

 

-      Madame Gypse : Nous avons perdu le duc... Recueillons-nous. Il était le huitième duc de Rumonaquie. Il aimait les plaisirs de la vie, même s'il était un peu revêche et capricieux. Il aimait surtout les jeunes soldats un peu bourrins, bénéficiant d'un petit cerveau qui rendait leur innocence et leur appétit de sensations nouvelles peu farouches... Pendant les derniers jours du siège, il organisait de savoureuses et décadentes orgies dans les broussailles, la nuit ; ah, Messieurs, combien d'entre vous y ont participé ! Et Monsieur Silice écrivait tout pour son maître avec talent. Nous manquons l'occasion de voir la publication d'un monument de la littérature sado-masochiste. Toute cette histoire tournait autour de l'idée de sortir le duc vivant du désert pour sauver la respectabilité du roi. Et voilà, c'est raté. Tout ça pour ça.

-      Cailleuse : Et merde...

-      Anna Kabonmine : Pauvre Monsieur Silice... Il aimait les plaisirs de la vie, et...

-      Cailleuse : Oui, ça ira. Merci pour eux. Nous devons les inhumer ici et continuer...

 

 

-      Cailleuse : Quatre morts, trois blessés légers, ça aurait pu être pire... Je me demande comment ça se passe à Authiebourg.

-      Madame Gypse : Igor...

 

Dans la cité souterraine des Orchidiens...

 

-      Yadêmokyblès : Mon frère, j'étais sûr de te retrouver dans les lointaines profondeurs de la cité.

-      Gason Authienoüs : J'aime parcourir ces salles pour réfléchir...

 

-      Yadêmokyblès : Les Oyatsines avaient mis beaucoup de temps et d'énergie à ramasser sur la plage les détritus laissés par les Grands. Pourtant, ils n'ont pas compris grand-chose au vaste monde qui les entourait.

-      Gason : Leurs dirigeants avaient, pendant des générations, bien limité l'espace de curiosité et de compréhension du peuple. Ils pensaient ainsi garantir la survie de leur petite civilisation solitaire. Ce fut un choc pour eux quand l'équipage du "Sasgarion" les découvrit... Mais sommes-nous tellement différents, nous, aujourd'hui, alors que nous restons immobiles et sourds au milieu de la tempête ? Nous savons parfaitement que ce monde est trop vaste et compliqué. Que faisons-nous pour tenter d'améliorer ce qui peut l'être à notre bien modeste échelle ?

 

-      Yadêmokyblès : La régente Bulotricia vient de m'appeler par radio et elle est de ton avis... Surtout après la visite de cette punaise de Kentika, dont je ne comprends pas bien le sens, à vrai dire...

-      Gason : Kentika est tellement matoise et compliquée qu'on a parfois l'impression qu'elle est plusieurs... Il faut y aller, Mon Frère, nous DEVONS y aller ! Donne l'ordre !

-      Yadêmokyblès : C'est fait, figure-toi. On n'attend plus que toi là-haut. Je te voyais bien à la tête de notre armée, comme autrefois. Après tout, je ne suis que le Vice-roi de ce pays d'Authiegane et le légendaire Mini-Lion du Potager ! Je ne fais pas le poids face à Gason Authienoüs, le héros de l'Orchide !

 

Pendant ce temps, à Authiebourg...

 

-      Major Bruant du Platier : le secteur ouest sera difficile à défendre avec le peu de monde qu'il me reste.

-      Kadawreski : Il faut tenir. Notre détermination les fera peut-être réfléchir. Et vous avez deux positions de repli successives possibles.

-      Major Bruant du Platier : Oui, mais elles ouvriront à l'ennemi une voie directe vers le centre du périmètre fortifié.

 

-      Le guetteur : Ils arrivent !!

 

-      Kadawreski : Allons, Messieurs, c'est le moment. A vos postes et bonne chance.

 

    -      Le Tumaadi : Le destin s'accomplit !

 

Comme les officiers le craignaient, les hordes ennemies enfoncent le front ouest et pénètrent dans le coeur de la ville. 

 

 

Igor Kadawreski en est réduit à lutter le dos au mur. C'est donc le moment de se montrer bravache et flamboyant aux yeux des rebelles et de ses propres soldats.

 

-      Kadawreski : Soldats des Colonies ! Savez-vous bien ce que vous faites ?!

 

-      Kadawreski : Vous gagnerez ce combat, mais la victoire est une illusion et l'Histoire ne se souviendra que de notre défaite ! Votre guide le Tumaadi vous trompe : Il vous emmène vers le chaos !

 

-      Kadawreski : Il suffit que vous retrouviez votre bon sens. Regardez autour de vous : Authiebourg est en feu ! La fumée, la fureur de cette bataille vont alerter les Grands. Que ferez-vous quand ils seront ici, stupéfaits à la fois par notre existence et par ce qui se passe dans ces dunes ? Pensez-vous que Partirambus pourra résoudre ce péril d'une seule parole autoritaire et majestueuse ? Il est tout autant petit et fragile que nous et sa voix ne portera pas jusqu'à leurs oreilles.

 

-      Kadawreski : Il en est de même pour tout le reste de ce qui motive votre juste colère. L'oeuvre dont vous rêvez n'est pas à votre échelle, ni à la mienne ! Mais si vous savez davantage convaincre que détruire, les Nations miniatures vous écouteront ! Soldats, dignes adversaires ! Je déclare que vous avez gagné cette bataille et que je me rends ! Je veux être plus utile que ça et je serai votre intermédiaire auprès des gouvernements pour obtenir justice et solidarité !

 

-      Kadawreski : Mais la chose utile la plus urgente à faire est d'éteindre les incendies pour ne pas attirer l'attention des Grands, sans quoi rien, m'entendez-vous, rien ne sera plus possible ! Mettons-nous tous ensemble au travail !

 

-      Un rebelle : Il a raison ! Nous sommes en grand danger d'être découverts ! Eteignons ces feux où bien nous sommes tous foutus !

 

Et voilà que les rebelles oublient soudain qu'ils étaient venus remporter une victoire totale et commettre un massacre saint et légendaire. Tout le monde se disperse pour trouver de l'eau, ramasser du sable et se précipiter sur les bâtiments en feu...

 

 

-     L'officier : Alors là... Vous m'épatez.

-     Kadawreski : Le solide bon sens des gens du désert est d'une infaillible puissance. Mais on peut facilement le canaliser et lui donner une direction... 

 

La bataille d'authiebourg a pris un tour surprenant. On dirait presque que l'intrépide Igor Kadawreski avait prévu longtemps à l'avance de pouvoir s'en sortir comme ça...

 

A SUIVRE...

 

La fureur de la bataille s'est estompée, le silence, l'immobilité et une forme de stupeur gagnent toute la vallée. On amène devant le le Tumaadi le plus illustre des prisonniers faits à Authiebourg... 

 

-      Le Tumaadi : Bien joué, Igor Kadawreski... Tu as réussi à faire évader ton duc, qui doit maintenant se prélasser chez les Orchidiens... Tu as sauvé la vie des trois-quarts de tes soldats, dont beaucoup se sont enfuis pendant que tu occupais les miens à autre chose... 

 

-      Le Tumaadi : Tu m'as volé ma victoire !! La victoire belle, impitoyable, cruelle, symbolique dont j'avais besoin, la victoire qui m'était due !!

-      Kadawreski : Rien n'est jamais dû, Partirambus. Alors ? Dis-le moi à présent : de qui se souviendra-t-on le plus après cette bataille ?

-      Le Tumaadi : Qu'on les jette dans la fourmilière la plus proche !

 

-      Général Chantantchek : Ô Suprême Clarté !

-      Le Tumaadi : Quoi encore ?!

-      Général Chantantchek : L'ennemi arrive sur nos arrières, à l'est ! Les Casteignans, Maître ! Et les Orchidiens chargent du côté opposé ! Gason Authienoüs est à leur tête ! Et on signale aussi l'approche de plusieurs vaisseaux aériens d'Arrochelle dans la forêt ! Ils se dirigent droit vers notre dépôt d'armes et les principaux villages !

 

-      Le Tumaadi : RHAAAAAAA !!!!

-      Vulpin des Prés : Mon Colonel, à force d'agacer tout le monde comme ça, un jour, vous aurez des problèmes.

-      Kadawreski : Oui, oui, oui... Je sais bien, je sais bien...

 

Et l'on vit en effet Gason Authinoüs courir devant la mythique IIIème Légion orchidienne et bousculer sans ralentir les rebelles médusés. En quelques minutes, une confusion totale tomba de nouveau sur Authiebourg.

 

 

La puissance et la gloire du Tumaadi s'évaporèrent aussi vite. Le chef de guerre qui venait de conquérir la ville se mua l'instant d'après en fuyard abandonné de tous ou presque. Et si Nathalie Coco-Mauricette se trouvait avec lui au moment de sa capture, ce n'était pas parce qu'elle était sa toute dernière fidèle, mais simplement par le fait du hasard.

 

Lorsque la colonne du major Cailleuse parvint dans la colonie orchidienne, des messages enthousiastes et brouillons y arrivaient pour donner ces informations contradictoires. En gros, le Tumaadi avait pris de force Authiebourg et puis, tout à coup, il avait été capturé... Deux jours plus tard, le général Chantantchek était battu à la bataille du Bas-Côté par un contingent montvillien qui venait de débarquer de plusieurs hélicoptères. Le général et d'autres chefs du mouvement tumaadiste espéraient voler ces appareils pour s'enfuir de nuit vers un lieu secret dans un champ, près du Jardin de Groffliers. Mais les Hédoniens avaient déjà découvert l'existence de ce lieu et l'avaient neutralisé.

Quant à Sakoutcher Partirambus dit "Le Tumaadi", Celui qu'On Ecoute", il fut mis en résidence surveillé pendant trois ans dans la grande colonie miniature de Sologne, dans un vaste grenier du château de Selles-sur-Cher. Gracié et libéré à moitié sur décision du Conseil des Nations, le chef de la grande rébellion de l'Authie reçut l'ordre de s'installer sur place et de ne jamais contacter qui que ce soit dans le Jardin d'Arrochelle.

 

Alors, pour s'occuper, il ouvrit un hôtel-cabaret dans une vaste clairière isolée, avec l'ex-reine Hazemnout et l'ex-fée Nathalie Coco-Mauricette, bien qu'à la longue il ne pouvait plus les blairer (et d'ailleurs, elles n'arrivèrent jamais à se blairer entre elles). Des heures durant, il racontait ses aventures aux placides paysans du coin, aux routiers de passage et aux touristes qui ne venaient que pour lui. 

 

Et un soir, Gason Authienoüs eut à son domicile, la Villa Gasonia, une visite-surprise : celle de son ancienne ennemie, Kentika, ex-reine de Carrelage, ex-reine de Flammenkuchbourg... 

 

 -     Gason : C’est pas possible… Vous avez encore le projet de vous marier avec moi ?! Déjà, je ne suis même plus roi, alors quel est l'intérêt pour vous ?

-      Kentika : Oh ça, on s’en fout, vous êtes bien plus que ça, et j’ai eu le temps d’y songer, mon ami.

 

-      Gason : Vous êtes déjà mariée au roi Galaarg, enfin je crois...

-      Kentika : Le divorce est en cours ! Et au train où vont les choses, lui et ses officiers ne vont pas tarder à être déportés, après leur soulèvement armé. C’est vous que je veux comme époux, c’est comme ça.

 

-      Gason :  Mais enfin… Regardez autour de vous… Ou plutôt, autour de moi : y a pas un truc qui fait tilt dans votre esprit, là ?

-      Kentika : … Ah !... Oui, vous parlez des jolis garçons presque tout nus ? Pas de problème, j’aime bien aussi !

 

-      Gason : Me prenez pas pour une bille, chère amie. La vérité, c’est que vous avez voulu négocier votre liberté avec le Conseil des Nations Miniatures pour services rendus, et que cela n’a pas vraiment déchaîné l’enthousiasme, encore moins maintenant que l'histoire est finie. Les gouvernements commencent à assumer leurs responsabilités et accueillent les gens des colonies. Votre copain Bernache Oyatoviche est réhabilité en Casteigne... Vous restez seule. Donc, vous avez besoin de moi. J’intercèderai pour vous sans hésiter ! Mais le mariage, hors de question ! Enfin voyons, à mon âge !

 

-      Kentika : Mais… Vous êtes encore jeune…

-      Gason : Bin justement. J’ai envie de le rester. Soyez mon invitée et mon amie. Je m’occupe de tout.

-      Kentika : Merci, Gason. Merci.

 

Et qu'advint-il d'Igor Kadawreski, le héros égocentrique et courageux, qui fit d'une défaite militaire une grande victoire politique ?

 

Il attendit à Authiebourg des nouvelles du roi Flaive de Casteigne, mais il n'en vint aucune. Il en conclut qu'il était libre comme l'air et il retrouva Aubépine Gypse chez les Orchidiens. Deux semaines plus tard, le roi avait enfin digéré le fait que le colonel et son insubordination n'étaient pour presque rien dans les circonstances de la mort du Duc de Rumonaquie. Mais la bataille d'Authiebourg, ça, non, ça ne passait pas.

 

On lui laissa son grade et on lui proposa très brièvement de demander une mutation, n'importe laquelle. Il choisit de se présenter comme adjoint à la Sécurité de la petite base aérienne internationale de la Chambre 313, dans l'hôtel Le Voltaire à Berck.

 

Le colonel devint donc, la semaine suivante, adjoint d'un lieutenant arrochellien qui le vit arriver avec appréhension. Mais Igor savait que ce poste était une pure fumisterie et qu'il y serait très désoeuvré... En revanche, c'était aussi là, dans cette chambre 313, que Madame Gypse allait prendre ses nouvelles fonctions de directrice de la petite communauté d'une centaine de personnes.

 

La base C-313 servait de relais aux vols réguliers entre le Jardin de Groffliers, celui des Orchidiens au nord de Berck et d'autres sites, également de poste de secours du fait de sa position très centrale, d'appui logistique pour toutes sortes d'explorations dans la région, et on y conditionnait et expédiait des échantillons de la bonne cuisine de l'hôtel...

 

 

Aubépine et Igor allaient passer là des jours tranquilles, au moins une trentaine de jours.

Jusqu'au jour où l'Aventure les appela de nouveau, et ils lui répondirent avec entrain, avant que l'ennui ne les saisisse.

Mais ceci est une autre histoire.

 

 

FIN

 

Voici, dans cette rubrique 2, trois histoires réalisées entre juin et août 2013. Dont les 3 épisodes du "Dernier vol pour le Cotentin", qui reprend les décors de "La Quête du Sasgarion".